Baux commerciaux : La résiliation extrajudiciaire est-elle permise en droit québécois?

Il arrive parfois que les bailleurs, afin de se prémunir contre d’éventuels défauts de leurs locataires, insèrent, dans leurs baux commerciaux une clause dite résolutoire, en vertu de laquelle ils se réservent le droit de mettre fin au bail sans s’adresser aux Tribunaux. Parfois encore, aucune clause ne réserve cette faculté aux bailleurs. 

Que ce soit dans l’une ou l’autre de ces situations, la résiliation d’un bail sans intervention judiciaire est-elle valide en droit québécois ? 

En l’absence de clause de résiliation, il convient de faire preuve d’une extrême prudence. En effet, depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec en 1994, la jurisprudence est constante à l’effet que, pour mettre un terme de façon prématurée à un bail, un bailleur doit nécessairement s’adresser aux tribunaux : 

L’article 1863 C.c.Q. pose une règle générale qui permet à l’une des parties de […] « demander » la résiliation du bail faute par l’autre de remplir ses obligations.  Pour sa part, l’article 1883 C.c.Q. permet au locataire […] « poursuivi » […] en résiliation pour défaut de paiement du loyer d’éviter la résiliation en payant […] « avant jugement ».  La lecture combinée de ces deux articles me permet de penser que le législateur, en matière de contrat de louage, a voulu reconnaître la résolution judiciaire comme règle générale.  En effet, si comme le prétend l’appelante, la résiliation de plein droit constituait cette règle générale, la faculté donnée par l’article 1883 C.c.Q. pour favoriser la stabilité des conventions serait illusoire.

Cependant, les cours de justice nuancent ce principe et admettent que certaines situations justifient une résiliation de plein droit. Ce sera le cas, par exemple, en cas de défaut répété de payer le loyer par le locataire, considéré comme un défaut majeur justifiant la résiliation extrajudiciaire du bail : 

[131] Le Tribunal considère que le défaut de payer le loyer était un manquement majeur et répété équivalent à un refus de payer. Monsieur Robertson n’entendait pas remédier à son manquement avant que la carrière ne fasse de profit. La preuve démontre amplement l’endettement important de Monsieur Robertson.

[132] Monsieur Beauvais se retrouvait donc dans une situation lui permettant, exceptionnellement, de résilier le bail de plein droit.  

Attention toutefois, le défaut doit être d’une grande importance, et ce sous peine d’être condamné au paiement de dommages et intérêts a posteriori. Par exemple, dans la décision Robertson c. Viateur Beauvais, précitée, aucun loyer n’avait été payé pendant près de trois années consécutives !

Et en présence d’une clause de résiliation, qu’en est-il ? Certaines conditions doivent-elles être remplies pour que la clause s’applique ? Eh bien oui ! 

En effet, ce n’est pas parce que le bail comporte pareille clause, que la résiliation de plein droit sera forcément possible. Non seulement le bail doit prévoir de façon claire et non équivoque la résiliation extrajudiciaire, mais le bailleur, pour s’en prévaloir, ne devra pas déjà avoir intenté de recours en résiliation judiciaire. Également, et par-dessus tout, dans l’éventualité où le bailleur lui-même serait en défaut, alors ce dernier ne pourrait invoquer la résiliation de plein droit prévue au bail. 

Finalement, avant de mettre fin au bail de plein droit, le bailleur devra préalablement mettre son locataire en demeure. Pour ce faire, si la transmission d’une lettre de mise en demeure ou d’un avis de résiliation est fortement recommandée, celle-ci ne sera pas nécessaire dans l’éventualité où le locataire serait en demeure de plein droit.

Attention toutefois à faire bon usage de ces clauses et à respecter assidument les conditions d’application de celles-ci, nul n’étant à l’abri d’un contrôle a posteriori par les tribunaux et à une condamnation au paiement de dommages et intérêts en cas d’usage abusif. 

Par ailleurs, notez que l’ajout d’une telle clause permet également de prévoir des causes additionnelles de résiliation. Par exemple, la simple faillite de votre locataire ne vous permettra pas de mettre un terme au bail excepté si une clause à cet effet a été préalablement insérée au bail. 

Si vous avez besoin d’assistance dans la rédaction ou l’interprétation de telles clauses de résiliation, afin d’évaluer vos droits dans un contrat que vous vous apprêtez à signer ou encore dans le processus de résiliation, n’hésitez pas à nous contacter afin d’obtenir une consultation avec un avocat.

 

*Il est à noter que le présent article ne constitue pas une opinion juridique et ne représente pas l’état du droit de manière exhaustive. Avant d’entreprendre des recours judiciaires, nous vous encourageons à obtenir de l’assistance juridique.

1 Place Fleur de Lys c. Tag’s Kiosque inc., 1995 CanLII 5555 (QC CA)

2 Procureur général du Canada c. 555 Carrière Holdings Inc./Gestion 555 Carrière inc., 2019 QCCS 4430.

3 Robertson c. Viateur Beauvais, 2003 CanLII 8372 (QC CS), para. 131, 132.

4 Ibid, para. 113. 

5 Gestion CDGM inc. c. Roux, 2017 QCCA 229 (CanLII), para. 37. 

6 Sodicor inc. c. Louis Laliberté Notaire inc., 2019 QCCS 4825 (CanLII), para. 25, 26.  

7 Jacman Investissement enr. c. WMF Mannequins, 2010 QCCQ 1455 (CanLII), para. 41. 

8 Procureur général du Canada c. 555 Carrière Holdings Inc./Gestion 555 Carrière inc., 2019 QCCS 4430 (CanLII), para. 134. 

9 2531-4980 Québec inc. c. Soltron Realty inc., 2010 QCCS 2143 (CanLII)