Les contrats forfaitaires : la théorie de l’imprévision face à l’augmentation des coûts de la main d’œuvre et des matériaux

La situation économique mondiale actuelle, accentuée par les retombées de la pandémie de la COVID-19, a causé un essor important du prix des matériaux et de la main d’œuvre. Dans le domaine de la construction, où les contrats à forfait sont matières courantes, cette augmentation peut entraîner des conséquences néfastes sur le profit escompté par les entrepreneurs. 

Bien qu’imprévisible et hors de leur contrôle, tous les entrepreneurs ne peuvent réclamer la hausse des coûts à leur client. 

En effet, l’essence d’un contrat forfaitaire est de maintenir intégralement le prix convenu peu importe les conditions rencontrées par l’entrepreneur suivant la signature du contrat. Ce dernier assume donc les risques liés au dépassement des coûts réels par rapport au prix convenu alors que le client assume le risque de payer plus cher que à la juste valeur des travaux réalisés. Ainsi, que les variations du prix soient prévisibles ou non, l’entrepreneur assume, sauf exceptions, toute augmentation du coût des matériaux et de la main d’œuvre.

Ce principe ayant mené à plusieurs situations désavantageuses pour certaines entreprises, une théorie, intitulée théorie de l’imprévision, a été amenée à plusieurs reprises devant les tribunaux québécois, et ce, jusqu’en Cour Suprême. Cette théorie était avancée afin d’obliger les parties à un contrat à en renégocier les modalités lorsque des événements imprévus en rendaient l’exécution désavantageusement onéreuse pour l’une d’entre elle. Cependant, son application a été refusée catégoriquement par les cours de justice :

« À eux seuls, le changement imprévu de circonstances et le désavantage subi par le cocontractant qui demande la renégociation du contrat ne justifient pas qu’un tribunal impose la renégociation demandée. La notion de bonne foi possède ses propres contours et sa propre logique, et sa portée ne peut être élargie au point d’y inclure la possibilité de sanctionner une partie en l’absence de comportement déraisonnable de sa part, ou une obligation de renégociation des obligations principales d’un contrat en toutes circonstances. »

Par exemple, plusieurs sociétés, ayant conclus des contrats de déneigement avec la Ville de Montréal, ont réclamé un ajustement du prix, alléguant une hausse substantielle du prix du carburant imprévisible et hors de leur contrôle. La cour supérieure a refusé catégoriquement la demande malgré les événements économiques, et ce, en raison du caractère ferme du prix des contrats.

Devant l’application rigide des principes applicables au contrat forfaitaire, quatre exceptions d’ordre général peuvent permettre d’y échapper :

  • La force majeure, c’est-à-dire un événement imprévisible et irrésistible;
  • Une faute du client dans l’information qu’il a fourni à l’entrepreneur;
  • Une entente postérieure entre le client et l’entrepreneur;
  • Une disposition contractuelle permettant des modifications aux travaux et au prix.

Cette revue rapide des principes applicables démontre donc l’importance de bien analyser vos contrats afin de vérifier les processus de modification du prix qui y sont inclus et, à défaut, d’y insérer une clause à cet effet. Cela permettra de vous assurer que les risques économiques pourront être assumés par le client dans le cadre de votre contrat à forfait.

Si vous avez besoin d’assistance dans la rédaction de telles clauses, afin d’évaluer vos droits dans un contrat que vous vous apprêtez à signer ou encore dans le processus de réclamation, n’hésitez pas à nous contacter afin d’obtenir une consultation avec un avocat.

*Il est à noter que le présent article ne constitue pas une opinion juridique et ne représente pas l’état du droit de manière exhaustive. Avant d’entreprendre des recours judiciaires, nous vous encourageons à obtenir de l’assistance juridique.

1 Code civil du Québec, RLRQ chapitre CCQ-1991, article 2109; Consortium MR Canada ltée c. Commission scolaire de Laval, 2015 QCCA 598, par.33.

2 Guy SARAULT, Les réclamations de l’entrepreneur en construction en droit québécois, 1re édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p.12 à 19.

3 Janin Atlas inc. c. Hydro-Québec, 2019 QCCS 4523, par.67; Développement Tanaka inc. c. Corporation d’hébergement du Québec, 2011 QCCA 1278.

4 Churchill Falls (Labrador) Corp. c. HydroQuébec, 2018 CSC 46, par.110.

5 Transport Rosement inc. c. Montréal (Ville de), 2008 QCCS 5507. Voir également : Construction DJL inc. c. Montréal (Ville de), 2013 QCCS 2681.

6 Code civil du Québec, RLRQ chapitre CCQ-1991, article 1470.

7 Janin Atlas inc. c. Hydro-Québec, 2019 QCCS 4523, par.74 et s.

8 Janin Atlas inc. c. Hydro-Québec, 2019 QCCS 4523, par.73.